Discours du Président de la République Dominicaine, Leonel Fernández, à la remise des clés de l’Université Henri Christophe au Président de la République d’Haïti, Michel Martelly 12 janvier 2012, Cap Haïtien, Limonade
Votre Excellence Michel Joseph Martelly, Président de la République d’Haïti ; Honorable Premier Ministre, Monsieur Garry Conille ; Honorable Président du Sénat, Monsieur Jean Rodolph Joazile ; Honorable Président de la Chambre des députés, Monsieur Jacinthe Saurel ; Mesdames, Messieurs les membres du pouvoir législatif ; Honorable Président de la Cour de Cassation ; Mesdames, Messieurs les représentants du Corps diplomatique ; Honorable Ministre de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, Monsieur Réginald Paul ; Monsieur le Secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, Jean-Claude François ; Honorable Recteur de l’Université d’État d’Haïti, Monsieur Jean Vernet-Henry ; Mesdames, Messieurs les membres de la communauté universitaire ; Habitants de la Région du Nord d’Haïti ; Jeunesse d’Haïti ; Mesdames, Messieurs les invités,
Il y a exactement une semaine, à 5 h 30 minutes du matin, un séisme de magnitude 5,6 sur l’échelle de Richter a bouleversé la République Dominicaine. Ce tremblement de terre a affecté les différentes parties du pays, et il a réveillé plus tôt que d’habitude une grande partie de notre population. C’est ainsi que j’ai été tiré de mon sommeil profond par un bruit épouvantable et par le mouvement des objets autour de moi.
Fort heureusement, nous n’avons eu à déplorer aucune perte de vie humaine. Aucun bâtiment ne s’est effondré et nos infrastructures sont restées intactes. Il reste que ce séisme a provoqué une grande peur et une immense anxiété. Il nous a permis d’imaginer ce qui s’est passé ici, en Haïti, il y a exactement deux ans, lors de la catastrophe naturelle qui a dévasté votre pays.
Il y a deux ans, 250 000 frères haïtiens ont trouvé la mort. Il y a deux ans, l’équivalent de 120 % de la richesse nationale a été annihilé. Il y a deux ans, des milliers d’étudiants ont disparu ; des centaines d’enseignants ont été ensevelis sous les décombres ; et près de 80 % des infrastructures universitaires ont été détériorées. Il y a deux ans, le territoire d’Haïti a été dévasté, provoquant détresse, confusion et incertitude.
Au nom du peuple dominicain, permettez-moi, une fois encore, de vous apporter le témoignage de notre solidarité avec le peuple haïtien à l’occasion du deuxième anniversaire de cette catastrophe qui a mobilisé l’attention du monde entier et l’a profondément ému.
Pour le peuple dominicain, la tragédie haïtienne a fourni l’occasion de montrer ce qu’il y a de meilleur en lui. Les travailleurs, les entrepreneurs, les membres des professions libérales, les étudiants, les artistes et les femmes aux foyers ont manifesté leur ferme volonté de contribuer à atténuer l’impact de ce désastre sans précédent sur leurs frères et sœurs haïtiens.
Notre gouvernement a ressenti comme un honneur de servir de canal et de catalyseur du désir collectif de la société dominicaine de voler au secours d’un peuple frère confronté à d’indescriptibles situations de peine, de tristesse et de désolation.
Dans notre pays, nous n’oublierons jamais la photo d’une mère de famille dominicaine, Sonia Marmolejos, s’offrant à allaiter un enfant haïtien qui venait de perdre ses parents.
Pour autant, force est de constater que le drame haïtien ne date pas de cette terrible catastrophe. C’est une tragédie qui a commencé à s’écrire dès le moment où ses dirigeants les plus éminents - tels Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Alexandre Pétion et Henri Christophe - ont non seulement annoncé au monde entier la naissance d’une Haïti indépendante, mais où, de surcroît, ils ont eu l’audace de briser les chaînes de l’esclavage.
Aucun peuple de la région n’avait jusqu’alors fait preuve d’une telle audace, d’un tel courage, en combinant lutte pour l’indépendance et abolition de l’esclavage. Cet incroyable exploit - quasiment surréaliste du point de vue des puissances esclavagistes de l’époque – et cet hymne éternel à la liberté constituent paradoxalement les causes fondamentales de la difficile trajectoire historique du peuple haïtien.
C’est sa lutte pour l’émancipation, et surtout l’exemple que son action héroïque représentait pour les peuples voisins - d’où la crainte des puissances coloniales de voir l’abolition de l’esclavage se répéter ailleurs - qui entraînèrent l’isolement international du peuple haïtien et, par voie de conséquence, son processus progressif d’appauvrissement.
On voit qu’il existait une situation de tragédie dans la vie du peuple haïtien, dont les origines sont bien antérieures au séisme du 12 janvier 2010. Cette situation, cette douleur et cette angoisse ont duré au-delà de ce qui est moralement et humainement supportable.
Le temps est venu pour que de la tragédie surgisse l’espoir ; de la douleur l’optimisme ; et de l’angoisse la joie.
Telle est bien la signification symbolique que nous souhaitons donner à l’inauguration de ce campus universitaire Henri Christophe. Il s’agit d’un don du peuple dominicain, d’un nouveau geste de solidarité de mes compatriotes, fruit de leur sensibilité et de leur désir de contribuer à la reconstruction d’Haïti. C’est enfin un acte d’amour et l’expression du vœu que le peuple frère haïtien surmonte ses difficultés et accède au bien-être.
Ce campus universitaire est construit sur une superficie de 144 000 mètres carrés. Il pourra accueillir 10 000 étudiants dans ses quatre bâtiments, représentant un total de 72 salles de cours à raison de 30 étudiants par salle. Cette infrastructure comprend aussi une bibliothèque, des salles de réunion, des laboratoires scientifiques, des centres numériques, une infirmerie, un auditorium, une cafétéria, un bâtiment administratif et des installations universitaires et sportives, le tout équipé de matériels modernes et adaptés.
Aujourd’hui, comme tout le peuple dominicain, je me réjouis que se concrétise l’engagement que nous avons pris de prendre en charge la construction de ce centre universitaire. Nous espérons que la communauté internationale aura à coeur, elle aussi, de tenir les promesses de reconstruction d’Haïti exprimées après le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
La jeunesse haïtienne avait besoin d’un espace pour travailler à l’amélioration de ses propres conditions de vie par l’enseignement, la recherche et l’innovation.
La principale richesse d’Haïti, c’est son propre peuple, c’est sa jeunesse studieuse et talentueuse. Une jeunesse qui n’attend que l’occasion d’avancer et progresser. Haïti est une nation qui a beaucoup de raisons d’être fière de son histoire, de sa culture, de ses traditions, de ses grands artistes, poètes, romanciers et scientifiques. Quel pays n’éprouverait pas une grande fierté de compter Jacques Roumain parmi les siens ? Quel pays ne sentirait pas honoré d’avoir donné naissance à un Jacques Stephen Alexis ? Qui ne valoriserait pas l’œuvre scientifique de Jean Price Mars ? Ou le travail historiographique de Dantès Bellegarde ? Et que dire des figures contemporaines du courage d’un Lyonel Trouillot, d’un Dany Laferrière, d’un Franck Etienne, d’une Edwidge Danticat, pour ne citer que quelques noms ? Quel pays du monde ne s’enorgueillirait pas d’un Wyclef Jean ?
Chers amis haïtiens, je suis ici en tant que chef d’État de la République Dominicaine pour inaugurer avec vous cette université Henri Christophe. Il s’agit de la cristallisation de l’engagement de toute une génération d’aider Haïti à créer et à développer des capacités qui élèvent sa nation au niveau de la grandeur de son histoire.
Ce campus universitaire se veut un espace de diffusion des connaissances, un espace de débats intellectuels, culturels et scientifiques. Il doit donner la possibilité à une nouvelle génération d’intellectuels, de chercheurs et d’universitaires haïtiens de cultiver leurs talents et de développer leurs potentialités créatives.
Mes chers frères et sœurs haïtiens, je suis ici pour vous dire que l’avenir de nos nations repose sur la capacité de nos peuples de se doter des ressources humaines nécessaires pour garantir la croissance de nos économies, éradiquer la pauvreté et faire diminuer les inégalités. Je suis ici pour vous dire que nous devons renforcer nos relations en menant des actions plus directes en matière de coopération, d’échanges culturels, de sécurité, d’investissements et de commerce. Je suis ici pour vous dire que le peuple dominicain est avec vous. Qu’il a été présent immédiatement après le séisme pour vous aider. Qu’il a ensuite été présent dans l’étape initiale de la reconstruction. Qu’il sera demain à vos côtés pour célébrer vos nouvelles victoires. La victoire du maintien d’un Etat de droit. La victoire de la démocratie, de la liberté et de la justice sociale. La victoire du progrès et de la prospérité.
Que vive la République d’Haïti ! Que vive la République Dominicaine ! Que vivent l’amitié et la solidarité entre nos peuples ! Merci beaucoup ! Mesi anpil En Haïti et la République Dominicaine, Se Pi devant nou pralé !